Photographier le vide

Voilà bien une entreprise qui apparaît pour le moins contradictoire : à son énoncé s’entend la prétention à fournir une image de ce qui semble ne pas en avoir. Toutefois, puisque ici mon rôle était de photographier, il me fallait tenter d’en donner l’impossible image. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . . ]

Investissant chacune de mes perceptions d’un quelconque affect, donc d’un qualificatif, je ne pouvais trouver le sujet de ma photographie, il me fallait faire le vide en moi, il me fallait « penser sans pensée ». wwwwwwwwwwww Appliqué à ma recherche d’images, je devais « voir sans vue », sans vision, c’est-à-dire que je ne devais plus investir d’un quelconque sens mes perceptions, je ne devais plus, non plus, les attendre ni en attendre un quelconque plaisir ou déplaisir, je ne devais plus chercher à voir les choses pour elles-mêmes, ni pour ce que l’on peut en attendre.

Je ne devais plus être photographe, ne plus pré-voir l’image, ne plus être tenté par une lumière ou par une harmonie de couleurs. Je devais m’abstraire de ma photographie … et surtout je ne devais plus devoir ou ne pas devoir. w Le monde alors, peut-être, s’offrirait dans son altérité face à ma solitude, ce vide difficilement tolérable que j’éprouvais à force de retrait ; mais cela, aussi, je devais l’oublier. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww [ . . . ]

Expérimentant le « voir sans vue », j’expérimentais « l’image sans image », pas celle que l’on utilise pour dénoncer la suprématie des canons et qui garde par-là même encore du sens, mais celle qui se refuse. wwwwwwwwwwwwww Il fallait déclencher … il fallait se/lui faire violence. wwwwwwwwwwwwwwww … Cette seconde tentative ne révélait qu’une errance. 

Poursuivant ma recherche j’attendais sans attendre.[1] Une fois de plus l’acte photographique s’apparentait à la pratique du tir à l’arc, à l’exercice de la volonté sans désir … wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww … viendrait le moment où ma cible, à la pointe de mon non-désir, se dénoncerait d’elle-même. ww w wwwwww ww www w wwwwwwwwwwwwww [ . . . ]

Et c’est un monde, lui-même d’attente sans attente, qui se présenta, wwww [ . . . ]Un monde de tous les jours, celui devant lequel on passe sans s’y arrêter, sans que rien ne soit fait pour que l’on s’y arrête, un monde sans affect. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Mais surtout le vide venait de se dire ne pas être lié à un lieu (mais à une attitude face au monde) alors même que ce dire prenait sens dans un lieu. w [ . . . ]

Devant l’urgence de la commande, je décidais de rechercher de nouveaux lieux, cette fois-ci caractéristiques, et je les photographiais. wwwwwwwwww J’avais expérimenté le moment où l’image se dénonce d’elle-même, pour cela j’avais dû perdre bien des choses, maintenant c’était cette expérience même que je perdais et, à nouveau, je redevenais un photographe, c’est-à-dire que je redevenais un individu qui pense ces images puis les construit à partir d’un « bout » de réel auquel il applique un ensemble de procédures. wwwwww [ . . . ]

 

 

Retrait

Ainsi, il ne me suffisait pas d’avoir, enfin, rencontré ce monde. Je devais maintenant le construire. wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwxxxxxxxxxxxxx S’il m’avais fallu m’abstraire de ma photographie, ce à quoi je m’étais appliqué dans la recherche de mon sujet, il fallait que je donne cette impression à travers mes prises de vue et même jusque dans les modalités de monstration ; peut-être, par-là, […] e monde qui n’en était pas un, sinon dans mon esprit, se ferait sujet de ma photographie. wwwwwwwwwwwwwww [ . . . ] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww M’appuyant sur « le style documentaire » et son renouveau, c’est-à-dire jouant de l’ambiguïté entre art et document  au profit du document (jeu que la photographie semble pouvoir porter à son comble) j’espérais « auratiser» mes images d’une (fausse) objectivité ; par là, je voulais neutraliser l’affect qui, éventuellement, s’en dégageait.

Je m’employais, donc, à appliquer, lors de mes prises de vues, un ensemble de stratégies opératoires […] à savoir : wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwv [ . . . ] wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Autant d’actes singuliers qui, banalisés par la répétition, se feraient oublier.

Peut-être même, donneraient-ils accès au sujet de ma photographie dans le surcroît de présence qu’ils tendent à produire, et, par là, me permettraient–ils de livrer mon sujet dans le silence de son « apparaître» ? .

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Présentation

Que montrent ces images ? .................................................................. Un mur, un sol (éventuellement un coin de mur et un sol)

Un mur, un sol, dont les particularités, ici un tuyau ou une prise électrique, là un mégot ou une pierre, ailleurs une tache d’urine ou encore une trace laissée par une ancienne flaque d’eau, ne viennent pas « faire sujet » dans l’image mais, viennent l’habiter tout en contribuant  « faiblement » à formaliser l’espace ouvert par les lignes de fuite des carreaux sur les sols comme par les lumières latérales.

 

Présentation sublime wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww Or, ce mur, sur lequel vient cogner et rebondir la vue comme la penséwe, même s’il occupe une place importante dans le processus de désignation du vide, n’en est pas, à lui seul, la présentation.

C’est de la confrontation de son insistante présence (derrière laquelle on devine s’étendre une infinité de possibles) avec les espaces vides (qu’il contribue à créer), ou de la confrontation de cette image saturée de représentation (qui même la déborde) avec cette image vide (que seul un mégot habite) que se pressent, dans une allusion faite d’un mixte de limites et de possibles, le vide infinitude inconnaissable.

Toutefois, s i l’on consulte chaque photographie indépendamment de la série, on ne perçoit pas, de manière évidente, cette allusion : la force de la frontalité jouant à plein son rôle, le référent de l’image ne se donne que plus fortement et cela sans pour autant que sa mise en présence ne laisse penser le néant d’où il surgit et dans lequel il prend place. wwwwwwwwwwwwwwww Pour reprendre Barthes « le réel […] adhère [à la photographie]», tout du moins à ces photographies.

Cependant ce regard ne tient pas compte (et pour cause) du travail de dissolution que produit la série : Il en va du sens du référent comme des modalités de prises de vue, ils s’épuisent dans la répétition. www Ainsi, ces images de lieux de passage sans passage, se répétant l’une l’autre sans jamais être parfaitement la même, perdent, au fil de leur consultation, de leur présence en tant que lieux vides, pour mieux dire ce qu’elles sont : de simples images vides.

 

Confrontation

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[1]Attendre quelque chose, c’est à dire attendre en se représentant l’objet de l’attente c’est déjà convoquer cet objet devant nous, c’est déjà ne plus l’attendre et c’est surtout réduire à une seule instance le champ des possibles à venir.

 L’attente véritable ne vise aucun objet, elle est ouverture à tous les possibles… retour

 

« Inventaire » (deuxième moment)